sexta-feira, janeiro 03, 2014

Economie de guerre au Portugal

LA GROGNE CONTRE L´AUSTERITÉ SE POURSUIT AU PORTUGAL


Le Portugal est un pays exsangue. Le chômage officiel, qui approchait les 20%, a diminué ces deux derniers trimestres «à la faveur» d’une baisse de la population active. Celle-ci est le fruit d’une émigration de masse dont les flux atteignent, voire dépassent, ceux des années 60 qui avaient vu un grand exode des Portugais, fuyant la misère, la dictature et la guerre coloniale (1). La moitié des chômeurs ne bénéficie pas d’allocation chômage et on compte par milliers les exclus du revenu minimum d’insertion, des allocations familiales ou du complément social vieillesse.

C’est que, bien que n’étant pas en guerre, le Portugal est, sous l’égide de la troïka, dans sa troisième année d’économie de guerre, malgré les (ou à cause des) résultats économiques calamiteux des politiques commises depuis trois ans. Car le Portugal est ce pays où l’on peut dire, avec la précision d’une expérience menée en laboratoire, que les milliards d’euros de sacrifices imposés à la population n’ont eu aucun effet sur la dette dont la progression est vertigineuse ni sur le déficit, systématiquement revu à la hausse à chaque évaluation de la troïka.
C’est pourtant muni des résultats de cette expérimentation que Lisbonne vient de présenter le budget le plus austère de l’histoire de la démocratie depuis 1977. L’ajustement budgétaire représente 2,3% du PIB et se fait essentiellement par la ponction directe sur les salaires des fonctionnaires et sur les retraites de la fonction publique.
Dans ces conditions, seul le gouvernement peut feindre de croire qu’en dépit de la nouvelle réduction drastique du revenu disponible des ménages à laquelle conduira inévitablement «son» budget, la consommation privée et l’investissement seront là pour soutenir son hypothèse de croissance de 0,8%. Ceci d’autant plus que la ponction fiscale violente de 2013 sera maintenue et que 2014 verra de nouvelles réductions dans les dépenses de l’éducation, de la santé et des transferts sociaux. Reste les exportations, mais celles-ci sont tributaires de la demande extérieure.
Comme dans toute économie de guerre, celle qui a cours au Portugal ne fait pas que des perdants. Alors que les seuls fonctionnaires et retraités de la fonction publique contribuent pour 82% à l’effort de guerre de 2014, il n’est demandé aux banques et aux monopoles de l’énergie qu’une contribution exceptionnelle de 4%, et le gouvernement s’est même donné le luxe de baisser de deux points l’impôt sur les sociétés qu’il vise à ramener à 19%, voire 17%, en 2016, dans le respect du sacro-saint principe néolibéral de création d’un climat propice à l’investissement. Il y a d’autres gagnants de la crise, à commencer par les créanciers auxquels il est destiné, en 2014, au titre des intérêts, un «magot» équivalent au budget de la santé. C’est pour ces créanciers que des sacrifices sont demandés au peuple de l’un des pays les plus pauvres et les plus inégalitaires de l’UE. C’est pour eux que l’on ferme des écoles, que l’on rationne des médicaments, qu’on limite l’accès aux soins de santé d’une partie de la population et que l’on vend aux enchères des biens publics.
Les politiques d’austérité violentes s’entretiennent d’elles-mêmes : elles génèrent leur propre intensification, censées remédier aux déficits qu’elles ont contribué à creuser. Chaque euro de déficit «économisé» au Portugal s’est traduit par une perte de 1,25 euro du PIB et une augmentation de 8,76 euros de la dette ; c’est ainsi que les créanciers sont assurés d’avoir toujours une dette à financer.
A l’instar de celles des autres pays qui sont sous l’intervention «effective» de la troïka, pour ne parler que d’eux, la dette portugaise n’est raisonnablement pas remboursable. Elle n’est pas le résultat de dérives d’un peuple qui aurait vécu au-dessus de ses moyens, même si les experts du FMI insistent sur la nécessité de baisser le salaire minimum du Portugal qui est de 485 euros brut par mois, soit l’un des plus bas de la zone euro et de l’UE.
Pays semi-périphérique, doté d’une économie à faible valeur ajoutée et très dépendante de l’extérieur, le Portugal «a payé» son adhésion à la zone euro, par une quasi-stagnation de son économie, si bien que la dette publique n’a connu une trajectoire ascendante que depuis la crise financière et les importants transferts du budget de l’Etat pour soutenir l’économie et sauver les banques. Ne pouvant se tourner vers la Banque centrale européenne (BCE) pour assurer son financement, le Portugal est devenu, après la Grèce et l’Irlande, la troisième victime de la spéculation des marchés financiers, laquelle a ouvert la voie à l’intervention de la troïka.
Après deux ans et demi et des milliards d’euros de sacrifices imposés à sa population, le Portugal est un pays plus pauvre, il a renoué avec les taux de natalité de la fin du XIXe siècle et l’émigration de masse de l’ère de la dictature. Sa population, l’une des plus vieilles de l’UE, diminue. Sa dette rapportée au PIB a augmenté de près de 25 points et son déficit n’est pas contenu. Les créanciers représentés par la troïka ont déjà averti du montant des coupes de dépenses qu’il faut opérer en 2015, alors que le «mémorandum» prend fin en juin 2014.
Que ce soit sous la forme d’un nouveau plan de «sauvetage» ou autre, et dans le cadre actuel des institutions européennes, le Portugal restera sous la domination de la troïka et sa population sera soumise à de nouvelles épreuves. Il est déjà l’autre Grèce et, si un doute subsistait, l’image de ces mères portugaises contraintes d’abandonner leurs enfants aux institutions sociales, alors que de nouveaux venus font leur entrée dans le club des millionnaires, serait là pour le démontrer.
(1) On évalue à 120 000 le nombre de Portugais qui ont émigré en 2012, soit un exode de 10 000 personnes en moyenne par mois, sur une population de quelque 10,5 millions d’habitants.

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